Je
vis depuis une trentaine d'années dans une vallée reculée de
Bourgogne, mais, comme tout un chacun je plonge mes racines à
travers presque tous les continents. Le brassage culturel ne date pas
d'hier, et même le plus gaulois des français ne pourrait nier
l'éparpillement de sa généalogie.
Au
19e siècle, une branche de ma famille s'était notamment établie
dans la province d'Izmir, en Turquie. Cette région de contraste, qui
avait au fil du temps vu passer nombre de héros et de prophètes,
était restée accueillante pour le voyageur en quête de stabilité.
Mes aïeux avaient ainsi trouvé à s'y installer durablement jusqu'à
ce que les tergiversations de l'histoire et du temps les invitent à
continuer leur route vers l'Occident.
J'avais
presque oublié mon attachement à cette terre quand un matin George
Couliet, mon cousin est venu me voir une lettre à la main.
Le
document qu'il me mit sous les yeux était estampillé du
gouvernement turc "en personne". Ne sachant pas lire le
turc, c'est George qui me traduisit le message. Il semblait que nous
étions tous deux héritiers d'une parcelle de terre sans valeur du
côté de Selçuk dans la province d'Izmir et que le gouvernement
nous proposait de nous le racheter.
En
réalité il s'agissait plutôt d'un échange. C'est une mesure mise
en place par Ankara pour préserver les trésors archéologiques du
pays. Lorsqu'un site d'intérêt historique est découvert, l’état
propose au propriétaire un bon d'échange lui permettant d'acquérir
ailleurs un terrain de valeur équivalente. Ainsi l'accès des ruines
est libre aux fouilles et les risques de pillages ou de dégradation
sont limités.
Le
terrain convoité devait donc détenir quelques vieilles pierres qui
attendaient patiemment d'être exhumées.
C'est
donc poussés davantage par la curiosité que par l'appât du gain
que nous avons décidé de partir pour Izmir.
Un
mois et demi plus tard, le temps d'organiser le voyage, nous posions
le pied en territoire turc. Sans escale, nous sommes immédiatement
partis avec le premier bus vers le site d’Éphèse pour voir de nos
yeux à quoi ressemblait ce terrain qu'avait acheté, on ne sait
pourquoi, le père de notre grand-père.
Il
s'agissait un petit carré de terre pelée, sur la Colline qui sépare
Selçuk des ruines de la cité antique d’Éphèse. Une partie du
terrain qui laissait deviner les fondations de bâtiments anciens
avait été grillagée.
Bien
que propriétaires des lieux au regard de la loi nous n’osions pas
franchir le rideau de fer à la vue de tous.
Nous
avons alors attendu que le soir chasse les derniers cars de touristes
venus visiter les ruines romaines.
Depuis
le bord de notre terrain on pouvait voir les restes de ce qui avait
été une des sept merveilles du monde, le temple d'Artémis.
Aujourd'hui, il ne reste plus que quelques morceaux de colonnes
délaissés par les touristes bien plus fascinés par la cité
romaine quelques pas en aval.
Nous
avions l'après-midi devant nous pour découvrir le site touristique.
La cité romaine est effectivement très bien conservée.
Nous
imaginions une Éphèse fastueuse du temps de son apogée. Ce n'est
que plus tard que j'apprendrai que ces ruines font office de
nouveauté par rapport à l'ancienneté réelle de la cité.
Le
soir tombé nous sommes retourné sur notre terrain.
Les
premières habitations de la ville étaient assez loin pour nous
permettre de déambuler sans être vu, ainsi, nous avions toute la
soirée pour comprendre l'intérêt que portait le gouvernement turc
pour ces quelques cailloux.
Il
n'y avait pas là de quoi tomber en pâmoison. Les murs sortis du sol
décrivaient de petites pièces donnant sur un espace central devant
être, à notre idée, une ancienne cour ou un atrium. L'ensemble
devait faire dans les 200 m2 et les gravures, statuettes ou mosaïques
que nous espérions découvrir avaient certainement disparu depuis
plusieurs siècles.
Notre
regard s'arrêta alors sur un chaos de roches au milieu d'une salle
qui semblait être les restes effondrés d'un improbable escalier
cheminant vers le sous-sol.
En
dégageant les premières pierres nous vîmes qu'une brèche avait
déjà été creusée laissant à peine la place pour faire glisser
un homme agile.
Pas
encore préparés à ramper ni à nous aventurer dans l'obscurité
d'un souterrain, nous nous en sommes, ce soir là, arrêté là.
Le
soir suivant, nous sommes retournés sur les lieux équipés de lampe
torche et de casque de fortune. Nous avons commencé par élargir
l'excavation avant de nous faufiler avec prudence vers l'inconnu.
À
notre surprise, la pièce souterraine n'était pas voûtée mais
couverte de très grandes dalles de pierres assises sur des murs tout
aussi impressionnants. Large d'un mètre cinquante pour une hauteur
qui nous permettait à peine de tenir debout, la pièce qui faisait
dans les quatre à cinq mètres de long était totalement vide.
Comme
tout archéologue du dimanche que nous étions, nous avons tout de
suite cru avoir découvert une tombe dont les richesses cachées se
dévoileraient en soufflant sur la poussière du sol. Scrutant à la
lumière de nos lampes et grattant le sol nous espérions trouver une
petite trace qui confirmerait nos hypothèses. Mais rien.
Il
fallait nous rendre à l'évidence, la pièce était définitivement
vide. Revenus à la raison, nous comprime que le trésor tant espéré
n'avait certainement jamais existé.
C'est
alors que, en passant machinalement ma main sur un mur, j'ai senti
comme des formes gravées dans la pierre.
Éclairant
latéralement la surface, nous vîmes qu'il s'agissait d'un texte
ancien, qui recouvrait bien la moitie de la surface totale des murs.
George
s'empressa de photographier en détail chaque parcelle écrite
pendant que je plaçais la lampe au mieux pour faire ressortir les
reliefs.
A
ce moment, nous n'avions pas encore conscience de la bombe que
représentait cette découverte.
Satisfaits
de notre périple archéologique, c'est sans regret que le lendemain,
nous cédions le terrain au gouvernement et à la science.
Peu
après, nous sommes retournés chez nous sans remord mais curieux
d'en savoir plus sur notre découverte.
Aussi,
à l’affût des dernières nouvelles archéologiques, nous
guettions tous deux le moment où un article parlerait de cette pièce
souterraine et où un spécialiste nous dévoilerait le contenu des
gravures que nous avons photographié.
Mais
rien n'apparut.
J'étais
évidement un peu déçu de ne pas en savoir plus. Mais persuadé que
quelqu'un quelque-part étudiait la question, je ne m'inquiétais pas
plus que de raison et je finis par ne plus y penser.
Pour
une toute autre raison, le hasard du calendrier m'invita quelques
mois plus tard à retourner dans la région d'Izmir.
Par
curiosité, je décidais de retourner voir le terrain qui avait été
le mien.
C'est
là que je compris qu'il y avait un problème.
La
totalité de la zone autrefois grillagée avait été rasée. Il n'y
avait plus là qu'un terrain vague sans la moindre trace de fondation
ancienne ou de galerie souterraine. Comme si le cite n'avait jamais
existé.
Stupéfait
je décidais de me rendre au musée archéologique d'Izmir, pour
savoir ce qu'il en était, mais personne ne pu me répondre. Personne
visiblement n'avait eu connaissance de quoi que ce soit. Ils
m'invitèrent à m'enquérir directement à la capitale.
Je
partis pour Ankara, puis pour Istanbul mais aucunes des personnes que
je rencontrais ne pouvaient m'expliquer la disparition des ruines de
Selçuk.
Enfin
après plusieurs jours de tergiversations, j'apprenais que l’état
envisageait une protection globale de l'ensemble du site d’Éphèse
pour éviter à l’urbanisation de s'approcher trop près du site
mais que « toutes les ruines ne méritaient pas toujours d'être
préservées ».
L'
homme qui m'avait dit tout cela (mais qui ne veux pas publier son
nom) m'expliqua également que le seul attrait qu'avait mon ancien
terrain était de faciliter l'accès à la colline d’Éphèse mais
que les restes de fondations qu'il cachait n'avaient aucun intérêt
historique. Sans quoi l'ensemble aurait été naturellement protégé.
Je
lui fis naturellement part de mon étonnement et insistais sur les
gravures étranges que nous avions photographiées. Mais l'homme
semblais ignorer tout de ce que je lui disais et ne m'apporta pas
plus d'explications.
Les
traces de ces gravures souterraines était peut être détruites ou
encore sous terre ou bien emballées dans les sous-sols d'un musée
attendant patiemment qu'un chercheur daigne s'y intéresser.
Quoi
qu'il en soit, je possédais pour ma part les photos de ces gravures
et si personne ne le faisait, j'étais bien décidé à les faire
traduire pour savoir enfin ce qu'elles racontaient.
La retranscription
Faire
traduire un texte séculaire sans même connaître son écriture ni
même la civilisation d’où il est sorti n'est pas à la portée de
tout le monde. J'étais bien résolu à y arriver, mais encore
fallait-il savoir comment.
Je
montrais les photos des gravures à plusieurs spécialistes et
j'appris qu'il ne s'agissait pas de grec ancien comme je l'imaginais,
mais d'écriture cunéiforme hittite.
J'allais
alors être confronté à deux problèmes.
Le
premier était qu'il n'existe sur terre qu'une poignée d'hommes et
de femmes capables de déchiffrer cette écriture, et qu'en personnes
très sollicitées ils ne sont que peu disponibles au déchiffrage
d'un texte aussi long.
Le
second était mon absence de preuve scientifique. J'avais uniquement
des photos sans trace aucune du site où elles avaient été prises
et n'étant ni archéologue ni historien, je n'avais rien pour
accréditer mes affirmations. Armé de ma seule bonne foi il m'était
très difficile de paraître crédible aux yeux des experts.
Le
manque de preuves concrètes interdisait aux scientifiques qui ont
bien voulu m'aider de le faire officiellement, c'est donc à titre
privé, par passion pour leur travail et peut-être par confiance en
ma sincérité que certains ont accepté de traduire ces étranges
gravures.
J’en
profite pour les remercier sincèrement pour leur aide, car sans
leurs compétences et leur générosité, ces textes dormiraient
encore dans leur tombeau.
Les
textes ont été traduits en mot à mot par cinq personnes
différentes et ne parlant pas toutes la même langue. J'ai par la
suite tout retranscrit au plus juste en essayant de donner une unité
à l'ensemble.
Des
parties du texte illisibles à la photo ou effacées par le temps
n'ont pas pu être traduites, aussi, vous trouverez probablement un
aspect chaotique à l'ensemble et vous verrez dans certains extraits
qu'il manque des passages. J'ai par endroit ajouté quelques
indications entre parenthèses afin de mieux comprendre les passages
irréguliers. Vous trouverez aussi quelques mots que je n'ai pas
réussi à faire traduire, ils vous seront donc proposés en
traduction phonétique. Par exemple « AM BR » à été
retranscrit en « ambri » et doit correspondre à une
plante ou un arbre particulier. Cela étant la globalité des récits
est respectée et l'ensemble reste cohérent.
Pour
aider à la lisibilité, j'ai séparé le texte en 4 livres, chacun
correspondant à un mur de la pièce souterraine et à une période
définie dans la chronologie de l'histoire. Les livres écrits d'un
seul tenant à l'origine sont divisés en chapitres pour faciliter la
lecture.